International

UN FAIT HISTORIQUE PEU CONNU DE LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE

Par Luis LERA

Dans son livre « Islam y guerra civil española » , paru en 2004 à Madrid, l’historien espagnol Francisco Sánchez Ruano nous apprend, à travers une recherche minutieuse et un luxe de détails, que le mythe qui place les « moros » du côté de Franco seulement, doit être nuancé, car plus de 1000 volontaires des Brigades internationales du camp républicain provenaient de pays Nord Africains. Le plus fort contingent de ces combattants venus défendre la République espagnole était constitué de 500 Algériens.

Avant de traiter plus précisément l’apport de ces derniers, il convient de reprendre brièvement le contexte de l’époque. Le mois d’avril 1931 voit l’avènement de la 2e République espagnole (la 1re République eut une existence éphémère, à la fin du 19e siècle), laquelle connaît une période marquée par un gouvernement de droite, à partir de 1933. Cependant, les élections de 1936 donnent la victoire à la gauche, unie dans le Front populaire (Frente Popular). Au niveau international, Hitler et Mussolini sont au pouvoir, et Staline est à la tête de l’Union soviétique de l’époque. L’armée espagnole est formée de troupes stationnées en Espagne même, mais aussi au nord du Maroc, placé sous protectorat espagnol. A l’annonce de la victoire des forces de gauche, la Phalange espagnole (organisation de type fasciste, calquée sur les Chemises noires de Mussolini) regroupe les opposants au nouveau gouvernement républicain et déclenche le soulèvement des troupes espagnoles du Maroc, sous le commandement de Franco.

La guerre civile en Espagne (1936-1939) et les Brigades internationales

Le débarquement des troupes rebelles sur le sol ibérique signifie le début de la guerre civile espagnole qui durera jusqu’en 1939, se terminera par la victoire militaire de Franco, mais fera des dizaines de milliers de victimes. Les deux forces en présence, le camp républicain et le camp franquiste reflètent deux conceptions du monde irréconciliables. Le premier représente les aspirations portées par les organisations syndicales et ouvrières, les socialistes, les communistes, les anarchistes… Le deuxième défend les intérêts des grosses puissances et les valeurs fascistes… De fait, l’Allemagne nazie appuiera les troupes de Franco, tandis que les républicains seront soutenus par l’Union soviétique. Pour leur part, Londres et Paris suivront une politique de non-intervention dans le conflit espagnol. Le mouvement de sympathie qu’avait engendré le régime républicain espagnol dans le monde se concrétisera par la constitution des Brigades internationales qui, comme leur nom l’indique, volontaires venus de plusieurs parties du monde soutenir les troupes régulières, fidèles à la 2e République. Selon Francisco Sánchez Ruano, on dénombrait jusqu’à 53 pays d’origine des miliciens qui combattaient au sein des Brigades internationales. Cités par ordre d’importance numérique, pour les chiffres inférieurs à 1000 volontaires l’Algérie se situe à la 13e place sur 41 pays.

Les Algériens dans le camp républicain

Les 500 volontaires algériens provenaient d’Algérie, encore sous colonisation française, mais aussi de la communauté algérienne émigrée en France, notamment à partir de Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux… La grande majorité des Algériens enrôlés dans les Brigades internationales étaient des militants syndicaux, des socialistes, des communistes, des anarchistes, qui se sont retrouvés aux côtés des Anglais, des Espagnols, des Yougoslaves, des Marocains, des Français, des Russes, des Polonais, etc. de mêmes tendances idéologiques. En face, Franco disposait des troupes constituées de soldats espagnols et de soldats de carrière marocains engagés, les « moros », dont le nombre augmentera au fur et à mesure du déroulement de la guerre, suite à leur enrôlement, parfois de force, entrepris par le bord franquiste au Maroc. Le terme de « moro » restera ainsi lié jusqu’à l’heure actuelle, dans l’inconscient collectif espagnol, à ces soldats marocains de l’armée franquiste, tout en désignant l’Arabe en général et notamment le Maghrébin, pour l’Espagnol moyen. D’autre part, le terme prend ses racines plus loin dans l’Histoire puisqu’il désigne à l’origine les musulmans (Maures) chassés par la reconquête espagnole au 15e siècle… Dans le cas concret de la guerre civile de 1936-1939, ceci a abouti à une vision réductrice de l’Histoire, construite sur le mythe du « moro » aux côtés de Franco, un « moro » coupable de tous types d’atrocités : pillage, viols, assassinats… Sànchez Ruano tente donc, à bon escient, de démanteler ce mythe et détruire les stéréotypes montés autour, en dévoilant « l’autre face » du « moro » dans la guerre civile espagnole, avec les preuves qu’il apporte sur la participation des NordAfricains à la défense de la 2e République espagnole, à travers leur engagement dans les Brigades internationales.

Oussidhoum, Belaïdi, Balek, figures algériennes des Brigades internationales

Pour illustrer son propos, le premier exemple qu’il donne est celui de Mohamed Belaïdi, un mécanicien algérien qui tenait le poste de mitrailleur dans les bombardiers de l’escadrille d’avions que dirigeait André Malraux, l’écrivain et homme politique français, au sein des forces républicaines. M. Belaïdi perdit la vie l’hiver 1937, dans le ciel de Teruel (nord de l’Espagne), quand son avion fut abattu par 7 avions de chasse allemands. Dans le film réalisé par A. Malraux sur la guerre d’Espagne, projeté à Paris pour la première fois en 1937, on peut voir le cercueil du milicien algérien recouvert d’un drapeau frappé du croissant musulman. Une mitrailleuse apparaît aussi posée sur le cercueil. Selon Sánchez Ruano, ce fut là l’unique film produit par le camp républicain où apparaît un volontaire arabe ou berbère musulman, membre des Brigades internationales. S’il y a peu d’Espagnols et d’Algériens qui savent que 500 Algériens ont servi dans ces brigades, beaucoup s’interrogeront sur leur présence dans la guerre civile espagnole. Quand on le lui a demandé, Belaïdi répondit : « Quand j’ai su que des Arabes combattaient pour Franco, j’ai dit à ma section socialiste qu’on devait faire quelque chose, sinon que diraient les camarades ouvriers… ? » D’autres cas peuvent être rapportés, comme celui de Rabah Oussidhoum, lequel s’est distingué par sa bravoure dans de nombreuses batailles, notamment la bataille de Lopera (région de Cordoue), et surtout celle de Segovia (région de Madrid) où il commandait le 12e bataillon, nommé « Ralph Fox » en l’honneur de l’écrivain anglais mort à Lopera. Comme Belaïdi, on interrogeait aussi Oussidhoum sur sa présence dans les Brigades internationales et il répondait : « Parce que tous les journaux parlent des « moros » qui luttent aux côtés Franco). Je suis venu démontrer que tous les Nord Afriains ne sont pas fascistes. » Oussidhoum tomba au champ d’honneur en mars 1938 dans son ultime bataille, à Miraflores (région de Saragosse). Pour ses chefs et ses compagnons, il laissera l’image d’un véritable héro dans les batailles où il s’est engagé, en Andalousie, dans la région d’Aragon et dans la région de Madrid. Citons encore le cas d’autres Algériens comme Mechenet Essaïd Ben Amar ou Améziane Ben Améziane, deux militants anarchistes dont le deuxième, mécanicien de profession, combattait sous les ordres de Durruti (leader anarchiste espagnol de l’époque). Dans un « Appel aux travailleurs algériens », Améziane écrit : « Nous sommes 12 de la CGT dans le groupe international… face à la canaille fasciste. Miliciens si, soldats jamais ! Durruti n’est ni général ni caïd mais un milicien digne de notre amitié. » Ces quelques exemples montrent que la majorité des volontaires algériens provenaient des organisations syndicales, des partis socialistes ou communistes ou du mouvement anarchiste, mais on connaît d’autres cas de militants du Parti du Peuple Algérien (PPA) engagés aux côtés des républicains, comme ceux de Aïci Mohand ou S. Zenad, que cite Sánchez Ruano, en précisant que leur décision fut individuelle. En effet, les dirigeants nationalistes algériens montraient leur appui au Front populaire espagnol surtout en matière de propagande antifranquiste. Mais le président de la République espagnole, Manuel Azaña, enverra une lettre de remerciements à Messali Hadj pour une contribution matérielle reçue du PPA. Les Algériens enrôlés dans les rangs des Brigades internationales montraient, à travers leur position internationaliste, une détermination aiguisée par la conviction politique que la victoire du camp républicain impulserait l’émancipation des peuples maghrébins et du peuple algérien en particulier, comme l’exprimait clairement un autre Algérien, L. Balek, commandant d’une compagnie républicaine, qui disait dans un meeting : « Le peuple de mon pays est aussi opprimé que l’est aujourd’hui le peuple espagnol par le Grand Colon qui le ruine. Je donnerai jusqu’à l’ultime goutte de mon sang pour que les Algériens, les Tunisiens et les Marocains puissent arriver un jour à secouer leur joug et recouvrer la liberté. »« Je suis ici parce que je suis volontaire et je donnerai, s’il le faut, jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour sauver la liberté de l’Espagne et la liberté du monde entier. » L’erreur de la majorité des dirigeants républicains fut de sous-estimer cette soif d’émancipation des volontaires venus combattre à leurs côtés. Sánchez Ruano revient sur cette idée en avançant que les volontaires musulmans des Brigades internationales furent des « soldats de l’ombre » occultés par le nombre de « moros » de Franco, accusés (dans beaucoup de cas à tort) d’exactions de toute sorte. Selon lui, beaucoup d’hommes politiques républicains, de partis et d’organisations républicaines sont tombés dans l’erreur de mettre sur le même plan les arabes combattant dans les files franquistes et ceux des Brigades internationales, sans penser que ces derniers étaient là pour des libertés qu’on leur refusait dans leur pays : Maroc, Algérie Tunisie, Syrie… Quoi qu’il en fût, comme tous les volontaires des Brigades internationales, ces musulmans, parmi eux les 500 Algériens, signèrent une déclaration avant de monter au front, qui se terminait ainsi : Des hommes comme Rabah Oussidhoum et Mohamed Belaïdi n’ont pas failli à cet engagement, au prix de leur vie.

Etranges étrangers, invité à mourir pour la République Espagnole, oubliés par l’Espagne et le Monde ; Ils s’appelaient Saïd, Safi et Mohamed… ils ne monnayaient pas leur courage. Nous leurs devions l’honneur, ils ont été simplement oubliés.

La mémoire courte

Comme après la Grande Guerre, les guerres coloniales succèdent à la dernière guerre mondiale avec les mêmes usages d’ignominies, comme si faire la guerre aux autres pouvait conjurer les souffrances passées. La Nation souveraine, à peine sa dignité restaurée, bafoue le droit des autres peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce fut ce que vécurent les peuples d’Indochine, de Madagascar, d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de l’Afrique… Peuples congénères qui, dans les moments difficiles et tragiques de notre histoire, ont pris les armes dans les maquis de la résistance présents dans 38 départements.

Au delà des anonymes, il y eut, au hasard, 52 tirailleurs sénégalais dans les maquis du Vercors ; 14 africains parmi les 1030 compagnons de l’Ordre de la Libération (la plus prestigieuse des distinctions de la France). Ils furent distingués pour leur participation à la libération de Roman-sur–Isère, le 22 Aout 44, du quartier de la Part-Dieu à Lyon, le 3 septembre 44.

Les troupes Nord Africaines sont de tous les combats pour la Libération : à Monté Cassino où elles s’illustrent par leur courage ; dans la plaine des Flandres ou à Marseille, libérée par les Tabors Marocains ;178.000 africains et malgaches et 320.000 maghrébins appelés en 39/40. Et il y eut aussi, la FTP-MOI (Francs-Tireurs Partisans Main-d’œuvre immigrée).

Quant à l’Affiche rouge, elle reste le témoin visible de ces minorités, de ces étrangers aux noms parfois imprononçables et qui pourtant, souhaitons-le, ne seront jamais oubliés. Ils étaient 23 étrangers et une étrangère aussi. On les appelait aussi les Terroristes. Ils venaient d’Arménie, de Roumanie, de la Pologne, de la Hongrie, d’Italie, d’Espagne, de France… et criaient Vive la France en s’abattant. Vingt furent fusillés. Cet « honneur » était réservé aux hommes : Olga Bancic (Roumaine) fut décapitée. C’est en effet ce que les nazis réservaient aux femmes. Pour cela, elle fut emmenée en Allemagne pour subir cette décapitation à la hache.

Je pense que les conflits comme la Bosnie le Rwanda, la Tchétchénie, la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan sont la répétition de notre avenir. Puissions nous tous en prendre conscience